Page:Tolstoï - Quelle est ma vie ?.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pantalon d’été, tremblaient de froid et s’entrechoquaient. Il tremblait si fort que ses mains ne purent tenir le verre et qu’il en renversa le contenu sur lui. On l’injuria. Il se contenta de sourire d’un air piteux et continua de trembler. Puis je vis passer tour à tour sous mes yeux un être difforme et tors, couvert de lambeaux et les pieds nus dans des bottes sans tiges ; quelqu’un qui semblait être un ancien officier ; un autre qui avait dû appartenir au clergé et un quatrième privé de nez. Tout cela, suppliant et humble, torturé par la faim et le froid, se pressait autour de moi, convoitant le sbitiène. Ils achevèrent ce qui en restait. L’un d’eux me demanda de l’argent, je lui en donnai. Un second, un troisième m’en demandèrent et bientôt je fus assailli par une foule telle qu’il en résulta une bagarre. Le concierge de la maison voisine cria à la foule de dégager le trottoir, qui longeait sa maison, et cet ordre fut aussitôt exécuté. De la troupe même sortirent des hommes qui rétablirent l’ordre et me prirent sous leur protection, — ils voulaient me frayer un passage et me faire sortir de la foule ; mais celle-ci, qui s’étendait le long du trottoir, avait rompu les rangs et se pressait autour de moi. Tous me