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Les gens, habitant la ville de longue date, me décrivant cette misère, m’en parlaient toujours avec un certain plaisir, semblant tout fiers, devant moi, de connaître cet état de choses. Je me souviens, quand j’étais à Londres, d’avoir remarqué que les habitants de cette ville avaient aussi l’air de se vanter, en parlant de la misère de leur cité. « Voyez, semblaient-ils dire, ce qui se passe chez nous autres ! »

Je voulus voir cette misère dont on me parlait. Je me dirigeais souvent vers le marché de Khitrof, mais chaque fois, je ressentais une sorte de malaise et de scrupule. « Pourquoi aller observer les souffrances de gens que tu ne peux secourir ? » me disait une voix. « Non, puisque tu habites cette ville et puisque tu contemples tous les attraits de la vie de la ville, va et regarde aussi cela », me disait une autre voix.

Il y a trois ans au mois de décembre, par une journée de gelée et de vent, je me dirigeai vers ce centre de la misère de Moscou, vers le marché de khitrof.

C’était un jour de semaine vers quatre heures de l’après-midi.

Dans la rue Solianka je commençai à remar-