Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gémissements : sa souffrance se communique à ceux qui l’entendent. Et il en est de même pour mille autres sentiments.

Or, c’est sur cette aptitude de l’homme à éprouver les sentiments éprouvés par un autre homme qu’est fondée la forme d’activité qui s’appelle l’art. Et encore l’art proprement dit ne commence-t-il que lorsque celui qui éprouve une émotion, et veut la communiquer à d’autres, a recours pour cela à des signes extérieurs. Prenons, cette fois encore, un exemple élémentaire. Un enfant, ayant ressenti de la peur à la rencontre d’un loup, raconte cette rencontre ; et, pour évoquer chez ses auditeurs l’émotion qu’il a éprouvée, il leur décrit la condition où il se trouvait, les objets qui l’entouraient, la forêt, son état d’insouciance, puis l’apparition du loup, ses mouvements, la distance où il était de lui, etc. Tout cela est de l’art, si seulement l’enfant, en racontant son aventure, repasse de nouveau par les sentiments qu’il y a éprouvés, et si ses mouvements, le son de sa voix, ses images obligent ses auditeurs à ressentir, eux aussi, des sentiments analogues. Et si même l’enfant n’a jamais vu un loup, mais a simplement eu peur d’en rencontrer un, et que, désirant commu-