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journal, ou qui entend dire que le clergé, le gouvernement, tous les hommes les meilleurs de la Russie élèvent avec enthousiasme un monument à un grand homme, à un bienfaiteur, à une gloire nationale, Pouchkine, dont jamais jusqu’alors il n’a entendu parler. De toute part on lui parle de Pouchkine ; et il suppose que, pour qu’on rende de tels hommages à cet homme, il faut donc qu’il ait accompli quelque chose d’extraordinaire, de très fort, ou de très bon. Il essaie donc de savoir qui était Pouchkine ; et en apprenant que Pouchkine n’était ni un héros ni même un général d’armée, mais simplement un écrivain, il en conclut que certainement Pouchkine a dû être un saint homme, un éducateur bienfaisant. Aussi se hâte-t-il de lire ou d’entendre lire sa vie et ses œuvres. Qu’on imagine donc son ahurissement en apprenant que Pouchkine a été un homme de mœurs plus que légères, qu’il est mort en duel, c’est-à-dire tandis qu’il essayait de tuer un autre homme, et que tout son mérite consiste à avoir écrit des vers sur l’amour !

Que les héros, qu’Alexandre le Grand, ou Gengiskhan, ou Napoléon aient été de grands hommes, il comprend bien cela, parce qu’il sent que tous ces