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que cela paraisse étrange et surprenant à des hommes élevés dans l’adoration de certaines œuvres et de leurs auteurs. Mais ne faut-il pas cependant que je m’incline devant la vérité telle que me l’indique ma raison ?

La neuvième symphonie de Beethoven passe pour une des plus grandes œuvres de l’art. Pour me rendre compte de ce qui en est au juste, je me pose avant tout la question suivante : cette œuvre exprime-t-elle un sentiment religieux d’un ordre supérieur ? Et je réponds aussitôt par la négative, puisque la musique, en aucun cas, ne saurait exprimer de pareils sentiments. Je me demande ensuite : cette œuvre, faute de pouvoir appartenir à la catégorie supérieure de l’art religieux, possède-t-elle du moins la seconde qualité de l’art véritable de notre temps, à savoir : d’unir tous les hommes dans un même sentiment ? Et cette fois encore je ne puis répondre que négativement : car d’abord je ne vois pas que les sentiments exprimés par cette symphonie puissent aucunement unir les hommes qui n’ont pas été spécialement élevés, préparés, à subir cette hypnotisation artificielle ; et, de plus, je n’arrive pas à me représenter une foule d’hommes normalement constitués qui puissent