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même prendre pour héros des hommes qui faisaient servir au bien de leur groupe la violence ou la ruse (Ulysse, Hercule, et en général les héros anciens). La conscience religieuse de notre époque, au contraire, n’admet point de groupes séparés entre les hommes, mais exige l’union de tous les hommes sans exception, et au-dessus de toutes les autres vertus elle place l’amour fraternel de l’humanité entière ; et, par suite, les sentiments que doit exprimer l’art de notre temps non seulement ne peuvent coïncider avec ceux des arts antérieurs, mais se trouvent forcément à l’opposé de ceux-là.

Et si jamais, jusqu’à présent, un art chrétien, vraiment chrétien, n’a pu se constituer, cela vient précisément de ce que la conception religieuse chrétienne n’a pas été un de ces petits pas en avant, comme en fait sans cesse l’humanité, mais une révolution énorme, destinée à modifier de fond en comble, tôt ou tard, la façon de vivre des hommes et leurs sentiments intérieurs. La conception chrétienne a donné une direction différente et nouvelle à tous les sentiments de l’humanité ; et par suite elle ne pouvait manquer de modifier de fond en comble et la matière, et la signification