Sans doute, c’est là un signe tout intérieur ; et sans doute les personnes qui n’ont jamais éprouvé l’impression produite par une œuvre d’art pourront s’imaginer que l’amusement et l’excitation nerveuse provoqués en elle par les contrefaçons de l’art constituent des impressions artistiques. Mais ces personnes sont comme les daltonistes, à qui rien ne saurait persuader que la couleur verte n’est pas la couleur rouge. Et en dehors d’elles, pour tout homme dont le goût n’a pas été perverti et atrophié, le signe que j’ai dit garde sa pleine valeur, permettant de distinguer nettement l’impression artistique de toutes les autres. La particularité principale de cette impression consiste en ceci, que l’homme qui la reçoit se trouve pour ainsi dire confondu avec l’artiste. Il lui semble que les sentiments qui lui sont transmis ne lui viennent pas d’une autre personne, mais de lui-même, et que tout ce que l’artiste exprime, lui-même depuis longtemps rêvait de l’exprimer. L’œuvre d’art véritable a pour effet de supprimer la distinction entre l’homme à qui elle s’adresse et l’artiste, comme aussi entre cet homme et tous les autres à qui s’adresse la même œuvre d’art. Et c’est dans cette suppression de toute séparation