un ensemble d’autorités de ce genre. Mais cette tradition est extrêmement trompeuse, tant parce que « l’élite » se trompe très souvent, que parce que des jugements qui ont eu du prix en leur temps cessent d’en avoir dans un autre temps. Or les critiques, faute d’avoir une base solide pour leurs jugements, se cramponnent obstinément à leurs traditions. Les tragédies classiques ont été jadis considérées comme bonnes : la critique continue à les considérer comme telles. Dante a été tenu pour un grand poète, Raphaël pour un grand peintre, Bach pour un grand musicien ; et nos critiques, faute d’avoir un moyen de distinguer le bon art d’avec le mauvais, continuent non seulement à tenir ces artistes pour grands, mais tiennent en outre toutes leurs œuvres pour admirables, et dignes d’être imitées. Rien n’a autant contribué et ne contribue autant à la perversion de l’art que les autorités mises en avant par la critique. Un homme produit une œuvre d’art où, en vrai artiste, il exprime à sa façon propre un sentiment qu’il a éprouvé. Son sentiment se transmet à d’autres hommes, et son œuvre attire l’attention. Mais alors la critique, s’en emparant, déclare que, sans être mauvaise, elle n’est cependant l’œu-
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