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teur en scène, mais, pour lui auteur, infiniment plus facile. Il nous a montré la jeune fille mourant sur la scène ; et pour accentuer encore l’effet physiologique de cette agonie sur nos nerfs, il a fait éteindre toute lumière dans la salle, laissant l’auditoire dans les ténèbres. Aux sons d’une musique sinistre, il nous a fait voir la jeune fille poursuivie et battue par son ivrogne de père. La jeune fille s’affaisse, gémit, soupire, et meurt. Des anges apparaissent, qui l’emmènent. Et les auditeurs, qui n’ont pu s’empêcher pendant tout cela d’éprouver une certaine excitation, s’en vont convaincus d’avoir éprouvé un véritable sentiment artistique. Or il n’y a rien d’artistique dans une excitation de ce genre, mais seulement le mélange d’une vague pitié pour autrui et du plaisir de penser qu’on n’a pas soi-même à souffrir de telles souffrances. L’effet que nous produisent les œuvres de ce genre est de même nature que celui que nous produit la vue d’une exécution capitale ou de celui que produisaient aux Romains les supplices du cirque.

La substitution de l’effet aux sentiments artistiques se reconnaît aujourd’hui d’une façon toute particulière dans la musique, cet art ayant, de par sa nature, une action physiologique immédiate