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Une seconde méthode pour donner à des œuvres qui ne sont pas de l’art une apparence d’art, c’est ce que j’appellerai l’ornementation. L’objet de cette méthode est de fournir aux sens du lecteur, du spectateur, ou de l’auditeur, les impressions les plus agréables, de façon à les griser, et à leur faire prendre pour de l’art ce qui n’en est pas. En littérature, cette méthode consiste, s’il s’agit de poésie, à employer les rythmes les plus cadencés, les rimes les plus sonores, et les expressions les plus élégantes ; s’il s’agit de prose, elle consiste à accentuer l’éclat et l’agrément des descriptions. Au théâtre, elle consiste à exciter les sens des spectateurs en lui montrant de jolies actrices, vêtues des costumes les plus riches, et parmi les décors les plus somptueux. En peinture, elle consiste à choisir des modèles qui excitent les sens, et à exagérer l’effet du coloris. En musique, elle consiste à multiplier les passages et les fioritures, aussi les modulations, à introduire dans l’orchestre des instruments nouveaux, etc. Ces ornementations ont atteint, de nos jours, un tel degré de perfection que les classes supérieures de notre société en sont venues à les prendre elles-mêmes pour des œuvres d’art : erreur d’autant plus naturelle, d’ailleurs, que la théorie en