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d’un roman qu’elle venait d’écrire. Le roman s’ouvrait par la description d’une héroïne qui, poétiquement vêtue de blanc, avec des cheveux poétiquement flottants, lisait de la poésie près d’une source, dans une poétique forêt. Cela se passait en Russie, et cependant voici que tout à coup, de derrière les buissons, le héros surgissait, coiffé d’un chapeau à plume « à la Guillaume Tell » (cela était spécifié dans le livre), et accompagné de deux chiens blancs, non moins poétiques. La dame croyait avoir fait là une œuvre poétique au dernier degré ; et en effet son œuvre aurait pu passer pour le modèle du genre si le héros, dès l’instant d’après, n’avait été obligé d’engager la conversation avec l’héroïne. Mais aussitôt que le jeune homme au chapeau à la Guillaume Tell se mit à parler avec la jeune fille à la robe blanche, je découvris clairement que l’auteur n’avait rien à leur faire dire, qu’elle n’avait eu elle-même rien à dire, et que, émue par le souvenir poétique d’autres œuvres, elle s’était imaginé qu’il lui suffirait de coudre bout à bout des morceaux de ces œuvres pour produire chez le lecteur une impression artistique. Or une impression artistique n’est produite en nous que quand l’auteur a éprouvé lui-même,