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les comprendre ? Un homme du peuple lit un livre, voit une peinture, entend une pièce ou une symphonie ; et il n’éprouve aucune émotion. On lui dit que c’est parce qu’il ne peut pas comprendre. On lui promet de lui montrer quelque chose, il entre, et ne voit rien. Et on lui dit que c’est parce que sa vue n’est pas préparée pour un spectacle de ce genre. Mais cet homme sait qu’il voit très bien ; et s’il ne voit pas ce qu’on lui a promis de lui montrer, il en conclut simplement, à juste titre, que ceux qui ont entrepris de lui faire voir le spectacle n’ont pas rempli leur engagement. Et de dire que, si mon art ne touche pas un certain homme, la faute en est à ce que cet homme est trop stupide, outre que c’est un comble de vanité, c’est encore un renversement des rôles, comme si un malade engageait un homme bien portant à se mettre au lit.

Voltaire disait : « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. » Mais plus justement encore on peut dire : « Tous les genres sont bons, hors celui qu’on ne comprend pas, ou qui ne produit pas son effet. » Car de quelle valeur peut être une chose qui échoue à produire l’effet en vue de qui elle est produite ?