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Dire qu’une œuvre d’art est bonne, et cependant incompréhensible à la majorité des hommes, c’est comme si l’on disait d’un certain aliment qu’il est bon, mais que la plupart des hommes doivent se garder d’en manger. La majorité des hommes peut ne pas aimer le fromage pourri ou le gibier faisandé, mets estimés par des hommes dont le goût est perverti ; mais le pain et les fruits ne sont bons que quand ils plaisent à la majorité des hommes. Et le cas est le même pour l’art. L’art perverti peut ne pas plaire à la majorité des hommes, mais le bon art doit forcément plaire à tout le monde.

On nous dit que les œuvres les plus hautes de l’art sont de telle sorte qu’on a besoin d’une préparation spéciale pour pouvoir les comprendre. Mais alors, si l’homme ne peut les comprendre naturellement, il doit donc y avoir des connaissances nécessaires pour mettre l’homme en état de les comprendre, et pouvant, par suite, leur être enseignées et expliquées. Or il se trouve qu’aucune connaissance de ce genre n’existe, et que la valeur des œuvres d’art ne peut pas s’expliquer. On nous dit bien que, pour comprendre ces œuvres, nous devons les relire, les revoir, les réentendre