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lement ton cœur. Quelle que soit ta bonté pour les tiens ou pour ceux qui t’entourent, quelle que soit ta situation sociale, — homme d’État, artiste, savant, médecin, professeur, — peux-tu rester impassible devant ton thé et ton dîner, continuer tes occupations, quand au bas de ton perron tu vois ou tu entends un gueux que le froid ou la faim font souffrir ? Non, n’est-ce pas ? Et cependant ces misérables y sont toujours : s’ils ne sont pas à ton perron, ils sont à dix mètres, à dix kilomètres, ils existent et tu le sais.

Tu ne peux donc demeurer calme, car tu ne peux goûter aucune joie que cette pensée n’empoisonne. Car pour ne pas les voir à ton perron, tu devras te cacher, les repousser par ta froideur, ou fuir quelque part où ils ne soient pas. Mais ils sont partout ; et, s’il se trouvait un endroit où tu pourrais ne pas les voir, tu serais encore poursuivi par ta conscience !