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Ayant saisi le sens et le but de ces commentaires, je compris que le commandement de Jésus concernant le serment est loin d’être insignifiant, facile à pratiquer et superficiel, comme cela m’avait semblé, tant que j’exceptais du serment défendu par Jésus le serment de fidélité à l’État.

Et je me posai la question suivante : mais ce passage ne contient-il pas une exhortation à s’abstenir de ce serment que les commentateurs de l’Église mettent tant de zèle à justifier ? N’y a-t-il pas ici une défense de prêter serment indispensable à la division des groupes politiques et à la formation de la caste militaire ? Le soldat, c’est bien l’instrument de toutes les violences, et, en Russie, il prend le sobriquet de « prisséaga » (assermenté). Si j’avais causé avec le grenadier pour savoir comment il résolvait la contradiction entre l’Évangile et le règlement militaire, il m’aurait répondu qu’il avait prêté serment, c’est-à-dire qu’il avait juré sur l’Évangile. C’est la réponse que m’ont faite tous les militaires. Ce serment est si indispensable pour les horreurs de la guerre et les répressions par la force, qu’en France, où le christianisme n’est pas en faveur, le serment est tout de même en vigueur. Si Jésus n’avait pas dit : « Ne prêtez serment à personne », il aurait dû l’avoir dit. Il est venu supprimer le mal, et, s’il n’avait pas supprimé le serment, il aurait laissé un terrible mal dans le monde. On dira peut-être qu’à l’époque de Jésus ce mal passait inaperçu ; mais cela n’est pas vrai. Épictète, Sénèque déclarent qu’il ne faut prêter serment à personne. Cette règle est inscrite dans les lois de Manou. Les Juifs du temps de Jésus faisaient des prosélytes en leur faisant prêter serment. De quel droit