Page:Tolstoï - Ma religion.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vine immuable et alors on verra clairement ce qui convient à la nature humaine : la violence, ou la doctrine de Jésus.

Quelle est donc la loi de notre nature ?

Est-ce de savoir que ma sécurité et celle de ma famille, tous mes amusements et toutes mes joies s’achètent par la misère, la dépravation et les souffrances de millions de personnes ; par des pendaisons, par l’infortune de centaines de milliers d’êtres croupissant dans les prisons ; par la peur qu’inspirent des millions de soldats et de policiers arrachés à leurs familles et hébétés par la discipline, qui protègent nos plaisirs avec des revolvers chargés contre les attentats possibles des affamés ? Est-ce d’acheter chaque bon morceau que je mets dans ma bouche et dans celle de mes enfants, par les privations du grand nombre qui sont indispensables, paraît-il, pour me procurer mon abondance, — ou bien, est-ce d’être certain que mon morceau de pain ne m’appartient que quand je sais que chacun a le sien et que personne ne souffre pendant que je le mange ?

Il suffit d’avoir compris que chacun de nos plaisirs, chaque minute de notre tranquillité s’achètent, grâce à notre organisation sociale, par les souffrances et les privations de milliers d’hommes, pour comprendre en même temps ce qui est propre à la nature de l’homme, non pas à la nature animale seule, mais à la nature animale et spirituelle qui constituent l’homme. Il suffit de comprendre la loi de Jésus dans toute sa portée, avec toutes ses conséquences, pour se convaincre que ce n’est pas sa doctrine qui est contraire à la nature humaine, mais qu’elle n’a d’autre objet que de rejeter la doctrine chimérique de la lutte avec le mal par la violence, —