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ma conscience, ma raison repoussent, mais qui encourage mes instincts brutaux. Je sentais que si j’adoptais la loi de Jésus, je resterais seul, je pourrais passer de mauvais moments, je serais persécuté et affligé, juste comme l’a annoncé Jésus. Mais que j’adopte la loi humaine — tout le monde m’approuvera, je serai tranquille, protégé et j’aurai à ma disposition toutes les ressources de l’intelligence pour mettre ma conscience à l’aise. Je rirai et je me réjouirai, juste comme l’a dit Jésus.

Je sentais cela, c’est pourquoi, non seulement je n’approfondissais pas le sens de la loi de Jésus, mais je tâchais de la comprendre de façon qu’elle ne m’empêchât pas de vivre de ma vie animale. C’était ne pas vouloir la comprendre du tout.

Dans ce parti pris de ne pas comprendre, j’arrivais à un degré d’aberration qui m’étonne maintenant.

Je citerai, comme exemple, mon ancienne manière de comprendre les mots : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugé. » (Matth., vii, 1.) « Ne jugez point, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point, et vous ne serez pas condamnés. » (Luc, vi, 37.)

Les tribunaux dans lesquels je faisais mon service et qui garantissaient ma propriété et ma sécurité me semblaient une institution si indubitablement sacrée et tellement d’accord avec la loi divine, que jamais il ne m’était venu en tête que les paroles citées eussent une signification autre que de ne pas médire du prochain. Jamais je ne m’étais douté que, dans ces paroles, Jésus eût pu parler des tribunaux, tribunaux d’arrondissement, de police correctionnelle et criminelle, des juges de paix, etc.