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la signification des mots : « Faites le bien à vos ennemis, agissez avec eux comme avec vos proches. Vous êtes tous — fils du même Père ; soyez donc comme votre Père, c’est-à-dire ne faites pas de différence entre votre peuple et les autres, soyez les égaux de chacun. » Je comprends maintenant que le vrai bien n’est possible pour moi qu’à la condition de reconnaître mon unité avec tous les hommes du monde sans aucune exception. Je crois à cela, et cette foi a changé toute mon estimation du bon et du mauvais, du grand et du méprisable. Ce qui me paraissait bon et grand, — l’amour de la patrie, l’amour pour mon peuple, pour tout cet édifice qu’on appelle l’État, les services qu’on lui rend aux dépens du bien des autres hommes, les exploits militaires des hommes de guerre, — tout cela me paraît détestable et pitoyable.

Ce qui me paraissait honteux ou mauvais, — le renoncement à la patrie et le cosmopolitisme — me paraît au contraire bon et grand.

Si je puis maintenant encore, dans un moment d’oubli, soutenir un Russe de préférence à un étranger, désirer des succès à la Russie, ou au peuple russe, je ne puis plus, dans mes moments lucides, me laisser dominer par ces chimères qui me perdent moi et les autres. Je ne puis plus reconnaître ni États ni peuples ; je ne puis plus prendre part à aucun différend entre peuples ou États, à aucune discussion sur paroles ou par écrit, encore moins à quelque service de n’importe quel État. Je ne puis pas coopérer à toutes ces affaires, qui sont basées sur la division des États, — les douanes, les impôts, la fabrication des armes et des projectiles, ou à un acte quelconque ayant pour but les armements, le service