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le Talmud des sentences ressemblant de très près aux propositions du sermon sur la Montagne.

Quand nous arrivâmes au verset : « Ne résistez pas au méchant, » il ne dit pas : ceci se trouve dans le Talmud, mais me demanda en souriant : « Et les chrétiens observent-ils ce commandement ? Présentent-ils la joue ? » Je n’avais rien à répondre — d’autant plus qu’à ce moment-là les chrétiens, loin de présenter la joue, battaient les Juifs sur les deux joues.

Je lui demandai s’il y avait quelque chose de semblable dans la Bible ou dans le Talmud.

« Non, me répondit-il, rien de semblable, mais vous, dites-moi si les chrétiens observent cette loi ? » Cette question était une manière de me dire que la présence d’un commandement dans la loi chrétienne, que, non seulement personne n’observe, mais encore qui est reconnu par les chrétiens eux-mêmes comme impratiquable, est l’aveu de la sottise et de la nullité de ce commandement.

Je n’eus rien à répondre au rabbin.

Maintenant, après avoir compris le sens exact de la doctrine, je vois distinctement l’étrange contradiction dans laquelle je me trouvais.

Après avoir reconnu la divinité de Jésus-Christ et de sa doctrine, après avoir organisé en même temps toute ma vie contrairement à cette doctrine, quel autre parti me restait-il à prendre si ce n’est de reconnaître la doctrine impraticable ?

En parole, j’avais reconnu la doctrine de Jésus sacrée ; en fait, je professais une doctrine nullement chrétienne, je reconnaissais, adorais des institutions antichrétiennes qui étreignaient ma vie de tous côtés.