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animosité contre des gens que je considérais comme mes égaux et que rarement je les outrageais ; mais le moindre procédé désagréable envers moi d’un homme que je considérais comme mon inférieur enflammait ma colère contre lui et me portait à des outrages, et plus je me considérais le supérieur de cet homme, moins il m’en coûtait de l’outrager ; quelquefois même la seule supposition de la bassesse de la position sociale d’un homme suffisait pour que je le traitasse d’une façon outrageante.

Maintenant, je comprends que celui-là seul est au-dessus des autres, qui est humble avec les autres et se fait le serviteur de chacun.

Je comprends maintenant pourquoi ce qui est grand devant les hommes est une abomination devant Dieu, et ce que veut dire : « Malheur aux riches et aux glorieux ; heureux les pauvres et les humiliés. » Maintenant seulement je comprends cela — j’ai foi en cela, et cette foi a changé toute mon appréciation de ce qui est bon et grand, de ce qui est mauvais et bas. Tout ce qui auparavant me paraissait bon et grand — les honneurs, la gloire, la civilisation, la richesse, les complications et les raffinements de l’existence, du luxe, de la nourriture, des vêtements, des manières — tout cela est devenu pour moi mauvais et bas. Tout ce qui me paraissait mauvais et bas — la rusticité du paysan, l’obscurité, la pauvreté, la rudesse, la simplicité de l’intérieur, de la nourriture, des vêtements, des manières — tout cela est devenu pour moi bon et grand. Voilà pourquoi si même aujourd’hui, sachant tout cela, je puis dans un moment d’oubli m’abandonner à la colère et outrager mon frère, dans mes moments de calme je ne puis plus