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d’autres traitent fort sérieusement de la religion, en sous-entendant par ce mot la doctrine métaphysique du principe universel, sans soupçonner qu’ils ne parlent pas de la religion tout entière, mais seulement d’une de ses parties.

De là provient ce merveilleux phénomène que nous observons dans notre siècle. Nous voyons des hommes savants et intelligents, naïvement persuadés qu’ils se sont affranchis de toute religion, uniquement parce qu’ils rejettent toutes les explications métaphysiques du principe universel qui jadis suffisaient à la vie d’une génération disparue. Ils ne font pas cette réflexion qu’on ne saurait vivre de néant ; chaque être humain vit au nom d’un principe quelconque, et ce principe, au nom duquel il vit d’une certaine manière, n’est autre chose que sa religion. Ces gens sont persuadés qu’ils ont des convictions raisonnables, mais qu’ils n’ont aucune religion. Pourtant, quelles que soient leurs allégations, ils ont une religion, du moment qu’ils commettent des actes raisonnés, car un acte raisonné est déterminé par une foi quelconque. Leur foi a pour objet les ordres qu’ils reçoivent. La foi des gens qui nient la religion est la religion de l’obéissance à tout ce qui se fait par la majorité puissante, c’est-à-dire en deux mots : la soumission aux pouvoirs établis.

On peut vivre d’après la doctrine du monde, c’est-à-dire de la vie animale, sans reconnaître rien de plus élevé, de plus obligatoire pour notre conscience, que les règlements du pouvoir établi. Mais celui qui vit ainsi ne peut pourtant pas affirmer qu’il vit raisonnablement. Avant d’affirmer que nous vivons raisonnablement, il faut répondre à la question : Quelle est la doctrine de