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Si les hommes ne pouvaient rien faire par eux-mêmes, s’ils n’étaient pas responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent, ils pourraient raisonnablement répondre à la question : « Pourquoi êtes-vous dans cette situation ? — Nous ne le savons pas ; nous sommes dans cette situation et nous la subissons. » Mais les hommes sont eux-mêmes les artisans de leur situation et surtout de celle de leurs enfants ; c’est pourquoi, quand on demande : Pourquoi réunissez-vous des millions de troupes, et pourquoi vous faites-vous soldat vous-mêmes pour vous entre-tuer et vous estropier les uns les autres ? Pourquoi avez-vous dépensé et dépensez-vous une somme énorme de forces humaines, qu’il faut chiffrer par milliards, à construire des villes inutiles et malsaines ? Pourquoi organisez-vous vos tribunaux ridicules et envoyez-vous des gens, que vous considérez comme criminels, de France à Cayenne, de Russie en Sibérie, d’Angleterre en Australie, quand vous savez vous-mêmes que c’est insensé ? Pourquoi abandonnez-vous l’agriculture, que vous aimez, pour travailler aux fabriques et aux usines que vous n’aimez pas ? Pourquoi élevez-vous vos enfants de façon qu’ils continuent à mener cette existence que vous n’approuvez pas ? Pourquoi faites-vous tout cela ? À toutes ces questions, vous ne pouvez pas vous abstenir de répondre. Si tout cela était pour vous chose agréable et que vous y trouviez votre plaisir, même alors vous seriez tenus de donner une réponse et de dire pourquoi vous agissez ainsi. Mais du moment que ce sont des choses terriblement difficiles et que vous les accomplissez avec effort et murmure, vous ne pouvez pas ne pas réfléchir sur le motif qui vous pousse à faire tout cela. Il faut cesser de le faire ou expliquer pourquoi vous le faites.