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préférable à la doctrine du monde, qui enseigne qu’il faut assurer sa vie ; préférable, parce que l’impossibilité d’éviter la mort et d’assurer la vie reste exactement la même pour les disciples de Jésus comme pour ceux du monde ; mais la vie elle-même, selon la doctrine de Jésus, n’est plus absorbée par l’occupation oiseuse des soi-disant garanties de l’existence ; elle est affranchie et peut être vouée au seul but qui lui soit propre, le bien pour soi-même et pour les autres. Le disciple de Jésus sera pauvre, oui, c’est-à-dire qu’il jouira toujours de tous les dons que Dieu a prodigués aux hommes. Il ne ruinera pas son existence. Nous avons appelé la pauvreté d’un mot qui est synonyme de calamité, mais, en réalité, est un bonheur, et nous aurons beau l’appeler calamité, elle n’en sera pas moins un bonheur. Être pauvre veut dire : ne pas vivre dans les villes, mais à la campagne ; ne pas rester enfermé dans ses chambres, mais travailler dans les bois, aux champs, avoir la jouissance du soleil, du ciel, de la terre, des animaux ; ne pas se creuser la tête à inventer ce qu’on mangera pour éveiller l’appétit, à quels exercices on se livrera pour avoir de bonnes digestions. Être pauvre, c’est avoir faim trois fois par jour, s’endormir sans passer des heures entières à se retourner sur ses oreillers en proie à l’insomnie, avoir des enfants et ne pas s’en séparer, être en relation avec chacun, et, ce qui est essentiel, ne jamais rien faire de ce qui vous déplaît, et ne pas craindre ce qui vous attend. Le pauvre sera malade et souffrant, il mourra comme le reste (à en juger par les malades et les mourants de la classe pauvre), — moins péniblement que les riches ; mais il vivra plus heureusement, sans aucun doute. Être pau-