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que raisonnent les gens qui s’efforcent de défendre l’organisation sociale ; mais eux-mêmes ne pensent pas ainsi. Ils disent cela uniquement parce qu’ils ne peuvent pas nier la vérité de la doctrine de Jésus qu’ils professent en paroles, et parce qu’il faut qu’ils se justifient d’une manière quelconque de ne pas la pratiquer. Non seulement ils ne pensent pas ce qu’ils disent, mais ils n’ont jamais le moins du monde réfléchi à ce sujet. Ils ont foi dans la doctrine du monde et allèguent seulement l’excuse qui leur a été enseignée par l’Église ; — que, pour pratiquer la doctrine de Jésus, il faut beaucoup souffrir ; — c’est pourquoi ils n’ont même jamais essayé de pratiquer la doctrine de Jésus.

Nous voyons les innombrables souffrances auxquelles se soumettent les hommes au nom de la doctrine du monde, tandis que des souffrances au nom de la doctrine de Jésus, — nous n’en voyons plus jamais de notre temps. Trente millions d’hommes ont péri dans les guerres, au nom de la doctrine du monde ; des milliards d’êtres ont péri, emportés par l’existence tuante organisée sur les principes de la doctrine du monde ; mais je ne sache pas que, de nos jours, il s’en soit rencontré des millions, des milliers, quelques dizaines ou même un seul qui ait péri d’une mort cruelle, ou qui ait vécu, souffrant la faim et le froid pour la doctrine de Jésus. Ces souffrances ne sont qu’une puérile excuse qui prouve à quel point nous connaissons mal la doctrine de Jésus. Non seulement nous ne la suivons pas ; mais encore nous ne l’avons jamais prise au sérieux. L’Église a pris la peine de nous l’expliquer de telle sorte qu’elle nous apparaît, non pas comme la doctrine de la vie heureuse, mais comme un épouvantail.