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Jadis, il y a eu, dit-on, des martyrs pour la cause de Jésus ; mais c’étaient des exceptions. On en compte environ trois cent quatre-vingt mille, — volontaires et involontaires, en dix-huit cents ans ; mais dénombrez les martyrs du monde, — et, pour chaque martyr chrétien, vous trouverez un millier de martyrs de la doctrine du monde dont les souffrances ont été cent fois plus cruelles. Le nombre des victimes de la guerre dans notre siècle seulement s’élève à trente millions d’hommes.

Ce sont là des martyrs de la doctrine du monde qui, s’ils avaient non pas suivi la doctrine de Jésus, mais seulement refusé de suivre la doctrine du monde, auraient évité les souffrances et la mort.

Qu’un homme cesse d’avoir foi dans la doctrine du monde, qu’il ne croie pas indispensable de porter des bottes vernies et une chaîne, d’avoir un salon inutile, de faire toutes les sottises que recommande la doctrine du monde, et il ne connaîtra jamais le travail abrutissant, les souffrances au-dessus de ses forces, — ni les soucis et les efforts perpétuels sans trêve ni repos ; il restera en communion avec la nature, il ne sera privé ni du travail qu’il aime, ni de sa famille, ni de sa santé, et ne périra pas d’une mort cruelle et bête.

Ce n’est pas ce genre de martyr qu’il faut être au nom de la doctrine de Jésus ; ce n’est pas là ce qu’enseigne Jésus. Il enseigne le moyen de mettre un terme aux souffrances que les hommes endurent au nom de la fausse doctrine du monde.

La doctrine de Jésus a un sens métaphysique profond ; elle a un sens humanitaire ; mais elle a aussi un sens des plus simples, des plus clairs, des plus pratiques pour la vie de chaque individu. On peut dire à ce point de vue