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leure preuve que le point de vue philosophique et scientifique n’est pas indépendant, mais qu’il est basé sur la doctrine religieuse de la béatitude éternelle qui serait le partage naturel de l’homme.

Cette fausse manière de comprendre la vie a déplorablement influé sur toute l’activité raisonnable de l’homme. Le dogme de la déchéance et de la rédemption lui masqua la région la plus importante et la plus légitime de son activité et raya de la sphère de toutes ses connaissances la notion de ce que l’homme a à faire pour être meilleur et plus heureux. La science et la philosophie, croyant être hostiles au pseudo-christianisme et s’en faisant gloire, ne travaillent que pour lui. La science et la philosophie traitent de tout ce qu’on voudra, sauf de ce que l’homme a à faire pour devenir meilleur et mieux vivre. L’éthique, l’enseignement moral, a disparu sans laisser de traces de notre société pseudo-chrétienne.

Croyants et sceptiques se préoccupent aussi peu les uns que les autres de la question de savoir comment vivre, comment faire usage de cette raison dont nous sommes doués ; ils se demandent pourquoi notre vie terrestre n’est pas telle que nous nous la fîgurons, et quand elle deviendra comme nous la souhaitons.

Ce n’est que grâce à cette fausse doctrine qui a pénétré dans la chair et dans le sang de nos générations, qu’a pu se produire ce singulier phénomène : on dirait que l’homme a vomi cette pomme de la science du bien et du mal, qu’il a, selon la légende, mangée au paradis ; et, oubliant que toute notre histoire n’est que la solution des contradictions provenant de notre double nature raisonnable et animale, il s’obstine à employer sa