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dimanche, jeûner chaque vendredi et faire ses dévotions une fois par an ? Qu’adviendrait-il, si les hommes avaient foi dans ces commandements au moins autant qu’ils ont foi dans les prescriptions de l’Église ? Et je me peignis la société chrétienne vivant d’après ces commandements et les prenant pour base de l’éducation des jeunes générations. Je me figurai qu’on nous enseignait à nous tous et à nos enfants dès le bas âge, non pas ce que l’on nous enseigne maintenant, c’est-à-dire conserver sa dignité, défendre ses droits contre les autres (ce qu’on ne peut faire sans abaisser et offenser les autres), mais qu’on nous enseignait que nul homme n’a aucune espèce de droit, et ne peut être ni au-dessus ni au-dessous de personne ; que celui-là seul s’abaisse et s’avilit, qui veut dominer les autres ; qu’il n’y a pas d’état plus humiliant pour l’homme que l’état de colère contre son semblable ; que ce qui me paraît dans un autre méprisable et insensé ne peut excuser ni ma colère ni mon hostilité contre lui. Je me figurai qu’au lieu de nous vanter l’organisation actuelle de notre existence avec ses théâtres, ses romans, ses magasins somptueux qui éveillent la convoitise des sens, — on nous inspirait au contraire à nous et à nos enfants, par la parole et par l’exemple, la conviction que la lecture de romans lascifs, la fréquentation des théâtres et des bals, constituent une distraction des plus vulgaires et qu’il n’y a rien de plus grotesque et de plus avilissant que de passer son temps à orner son corps et à le mettre pour ainsi dire en montre. Je me figurai qu’au lieu d’admettre et d’approuver qu’un jeune homme soit libertin avant le mariage, au lieu de considérer la séparation des époux comme une chose fort naturelle, au