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pour la patrie, on fait pis encore et au nom de l’amour pour l’humanité on arrive aux horreurs les plus terribles. L’amour est la raison de la vie humaine, c’est chose connue de longtemps, mais qu’est-ce que l’amour ? Cette question inquiète toujours l’esprit humain et toujours on la résout par la négative. On démontre que ce qu’on a appelé de ce nom, que ce qui passait pour l’amour, n’est pas l’amour. Tuer les hommes n’est pas l’amour, les faire souffrir, les battre au nom de quoi que ce soit, préférer les uns aux autres, n’est pas non plus l’amour ; et le précepte de ne pas résister au mal par la violence indique les limites au delà desquelles cesse l’amour ; avec lui on peut avancer et non reculer. Il est étrange, que vous qui reconnaissez que la raison de la vie est de servir les autres au nom de l’amour, vous vous indigniez du moyen sûr et indiscutable qu’on vous indique pour cela. C’est comme si un homme s’indignait de ce qu’on lui montre pour naviguer une route sûre parmi les récifs. « Pourquoi me guider ; il faut peut-être que j’échoue sur le bas-fond ? » N’est-ce pas la même chose que de s’indigner de ne pouvoir tuer un assassin imaginaire. — « Mais si l’on ne peut faire autrement ? » Eh bien, s’il est impossible que le vaisseau n’échoue pas sur le bas-fond, j’y échouerai peut-être, mais je ne puis pas ne pas