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Le gamin y songe encore pendant le travail, quand il se met au lit, et quand il garde les chevaux ; mais il ne trouve pas la réponse. Tout le monde dit qu’il faut que cela soit ainsi, et tout le monde s’y conforme.

Et le garçon grandit, on le marie, il a des enfants, et ses enfants lui posent la même question ; et lui, homme, il leur répond ce que lui répondait son père ; et lui aussi, en vivant dans la misère, travaille pour des étrangers, des oisifs.

Et il vit ainsi, tous autour de lui vivent de même. Dans quelque endroit qu’on aille, lui disent les pèlerins, c’est partout, partout la même chose : partout les paysans travaillent au-dessus de leurs forces pour d’autres hommes oisifs, partout ils attrapent les hernies, les catarrhes, la phtisie, s’enivrent pour oublier leur misère, et meurent avant le temps. Les femmes font plus qu’elles ne peuvent pour s’occuper du ménage, soigner les bêtes, laver et habiller les moujiks, et de même vieillissent avant le temps par suite de travaux excessifs et trop nombreux.

Et partout ceux pour qui les paysans travaillent ont des calèches, des chevaux de course, des chiens, font construire des pavillons, jouent à divers jeux et de Pâques jusqu’à Pâques, du matin au soir, sont vêtus comme pour les gran-