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tient les hommes de notre temps dans l’incompréhension de la situation actuelle. En réalité l’abolition du servage et de l’esclavage n’était que l’abolition d’une forme vieillie et devenue inutile de l’esclavage, et son remplacement par une forme plus ferme et embrassant un beaucoup plus grand nombre d’esclaves : l’esclavage contemporain.

L’abolition du servage ressemble à ce que les Tartares de Crimée faisaient avec leurs prisonniers, lorsqu’ils eurent inventé de leur entailler la plante des pieds et d’y mettre des soies de porc coupées, puis, cette opération faite, de leur enlever les chaînes et les fers.

L’abolition du servage en Russie et de l’esclavage en Amérique, tout en détruisant la forme ancienne de l’esclavage, n’a pas détruit l’essence même de l’esclavage ; elle a été faite quand les soies de porc avaient produit dans les pieds une inflammation telle, qu’on pouvait être tout à fait sûr que, même sans chaîne et sans fers, personne ne pourrait s’échapper et que tous travailleraient. Chez nous, en Russie, le servage a été aboli quand toutes les terres étaient déjà accaparées, et si les paysans en ont obtenu une partie, on les a accablés d’impôts qui ont remplacé le servage.

En Europe, on a commencé à abolir les impôts qui asservissaient le peuple, quand celui-ci était