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éprouver ces hommes, qui ne dorment jamais à temps et qui ont toujours froid, quand au lieu de se reposer et de se réchauffer, ils s’allongent sur le parquet sale, sous les planches, et là meurtrissent encore plus leur corps et se contaminent dans un air suffocant. Dans cette heure tourmentée, quand ils font de vains efforts pour dormir et se reposer, ils sentent probablement, d’une façon confuse, l’horreur de leur travail de trente-sept heures qui ruine leurs vies, et c’est pourquoi ils se révoltent surtout contre l’exiguïté du logement, ce qui peut sembler aux autres un fait assez peu grave.

Après avoir regardé quelques autres équipes à leur travail, après avoir causé avec plusieurs ouvriers, et entendu de tous la même plainte, je suis revenu à la maison, bien convaincu cette fois que ma connaissance m’avait dit la vérité. C’était vrai que pour un salaire donnant à peine la nourriture, des hommes, qui se croient des êtres libres, trouvent nécessaire de faire un travail, qu’au temps de l’esclavage, le propriétaire même le plus cruel, n’aurait pas donné à ses esclaves. Eh quoi ! un propriétaire d’esclaves ! mais aucun cocher ne ferait faire tel travail à son cheval, car un cheval coûte de l’argent, et il ne serait pas pratique d’abréger les jours d’un animal de prix par un travail de trente-sept heures.