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Ils ont, non pas trente-six heures consécutives de travail, mais toujours plus, car pour aller et revenir de leur logement à la gare, il faut à peu près une heure, et en outre, on les retient souvent au travail plus que le temps convenu. À ce travail de trente-sept heures consécutives, ils gagnent à peu près 25 roubles par mois.

À ma question ; « Pourquoi faites-vous tel travail de galériens ? » on me répondit :

— Que pouvons-nous faire ?

— Mais pourquoi donc travailler trente-six heures de suite, n’y aurait-il pas moyen de changer plus souvent les équipes ?

— On nous ordonne ce travail.

— Mais pourquoi y consentez-vous ?

— Parce qu’il faut manger, et si on refuse, alors, congédié. Si on arrive une heure en retard, tout de suite le compte et va ; et dix hommes sont là tout prêts à prendre la place.

Les ouvriers étaient des jeunes gens, un seul, plus âgé, pouvait avoir quarante ans. Tous avaient le visage maigre, fatigué, les yeux battus comme s’ils avaient bu. L’ouvrier avec lequel j’avais parlé tout d’abord me frappait surtout par cette étrange fatigue du regard. Je lui demandai s’il n’avait pas bu aujourd’hui.

— Je ne bois pas, répondit-il sans hésiter, et du ton d’un homme qui vraiment ne boit pas. Et je ne fume pas, ajouta-t-il.