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cette doctrine empêchait le renversement des conservateurs compromettant le bien-être de la nation. Ce qui est remarquable, c’est que les révolutionnaires attaquaient le principe de la non-résistance au mal par la violence, le plus terrible, le plus dangereux pourtant pour tout despotisme, puisque, depuis que le monde existe, toutes les violences — depuis l’inquisition jusqu’à la forteresse de Schlusselbourg[1] — se sont basées et se basent encore sur le principe contraire.

En outre, les critiques russes objectaient encore que l’application à la vie pratique du précepte de la non-résistance écarterait l’humanité de la voie de la civilisation qu’elle suit. Or la voie de civilisation que suivent les peuples européens est, à leur avis, celle précisément que doit suivre toujours toute l’humanité.

Tel est le caractère principal des critiques russes.

Les critiques étrangères étaient conçues dans le même esprit, mais différaient un peu par les objections. Elles se distinguaient des critiques russes non seulement par le fond, mais aussi par plus d’urbanité et moins de passion dans la forme.

Parlant, à propos de mon livre, de la doctrine évangélique en général, telle qu’elle est établie dans le Sermon sur la Montagne, les critiques étrangers affirmaient que cette doctrine n’est pas, à proprement parler, celle du christianisme (qui, à leur avis, est représentée par le catholicisme ou protestantisme), mais simplement une série d’utopies charmantes, mais non pratiques du charmant docteur, comme disait Renan, admissibles pour les habitants demi-sauvages qui vivaient en Galilée il y a dix-huit cents ans ou pour les demi-sauvages moujiks russes — Sutaïev, Bondarev et le mystique

  1. Prison des condamnés politiques.