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C’est pourquoi on ne pouvait pas attendre d’eux une argumentation indépendante sur l’essence même de la question, sur les modifications des conditions de l’existence qui résulteraient de l’application de la doctrine du Christ à l’ordre des choses actuel. Je m’attendais à cette sorte de raisonnement de la part des critiques libres penseurs, qui ne sont pas liés par la foi et peuvent juger librement ; je m’attendais à voir les libres penseurs envisager le Christ non seulement comme le fondateur d’une religion de salut personnel (ainsi que le comprennent les partisans de l’Église), mais encore comme un réformateur, renversant les anciennes bases de la société, et en posant de nouvelles, réforme qui n’est pas encore complète, mais dont la réalisation se poursuit chaque jour.

Cette conception de la doctrine du Christ est celle de mon livre. À mon grand étonnement, parmi les nombreuses critiques qu’il a soulevées, il ne s’en est pas trouvé une seule, russe ou étrangère, qui ait traité le sujet à ce point de vue, c’est-à-dire en considérant la doctrine du Christ comme une doctrine philosophique, morale et sociale (selon l’expression des savants).

Les critiques laïques russes n’ont vu dans mon livre que le précepte de la non-résistance au mal, et (probablement pour la commodité de l’objection) ils ont compris ce précepte dans le sens absolu, c’est-à-dire comme l’interdiction de toute lutte contre le mal. Ils l’ont attaqué avec fureur, et ont démontré victorieusement, pendant plusieurs années, que la doctrine du Christ est fausse puisqu’elle défend de s’opposer au mal. Ils ont réfuté cette prétendue doctrine du Christ avec d’autant plus de succès qu’ils savaient bien, d’avance, que leur argumentation ne serait ni relevée ni rectifiée, puisque la