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ne soit une cruauté inutile. Nous emprisonnons un membre de la société, dangereux à notre avis, mais demain cet individu pourrait cesser d’être dangereux et, par suite, son emprisonnement devient inutile. Je vois un brigand poursuivre une jeune fille. J’ai dans ma main un fusil. Je le tue. Je sauve la jeune fille ; mais la mort ou la blessure du brigand est un fait certain, tandis que ce qui serait advenu à la jeune fille, je l’ignore. Quel mal immense doit résulter, et résulte en réalité, du droit reconnu aux hommes de prévenir les méfaits qui pourraient arriver ! Depuis l’inquisition jusqu’aux bombes à dynamite, les exécutions et les tortures de dizaines de milliers de criminels dits politiques sont, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, basées sur ce raisonnement.

La quatrième catégorie de réponses — plus subtiles encore, — consiste à affirmer que le précepte de la non-résistance au mal par le mal, loin d’être nié, est au contraire formellement reconnu comme tous les autres ; que seulement on ne doit pas lui attribuer une signification absolue, comme le font les sectaires. En faire une condition sine qua non de la vie chrétienne, à l’exemple d’Harrison, de Ballou, de Dymond, des ménonites, des schekers, et comme le font les Frères Moraves, les valdens, les albigeois, les bogomiles, les pauliciens, c’est du sectarisme borné. Ce précepte n’a ni plus ni moins de portée que tous les autres, et l’homme qui enfreint, à cause de sa faiblesse, n’importe quel commandement, y compris celui de la non-résistance, ne cesse pas d’être chrétien s’il a la foi.

Cette ruse est très habile, et bien des gens qui désirent être trompés y succombent facilement. Elle consiste à transformer la négation consciente du précepte en une infraction occasionnelle. Mais il suffit de comparer l’at-