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pouvait décider la question, je dirais qu’il n’existe pas de cas de violence qu’on ne pourrait expliquer par le danger d’autrui. On a exécuté et brûlé des sorciers ; on a exécuté des aristocrates et des girondins ; on a exécuté aussi leurs ennemis, parce que ceux qui occupaient le pouvoir les considéraient comme un danger pour la nation.

Si cette importante restriction, qui réduit à rien la portée du précepte, était entrée dans la pensée du Christ, elle serait formulée quelque part. Non seulement on ne la trouve ni dans les prédications ni dans la vie du Maître, mais on y trouve précisément, au contraire, un avertissement contre cette restriction aussi fausse que séduisante. Cela ressort avec une netteté particulière de la relation du raisonnement de Caïphe faisant justement cette restriction. Il reconnaît qu’il est injuste de condamner Jésus, innocent, mais il voit le danger, non pour lui, pour le peuple entier. C’est pourquoi il dit : « Il vaut mieux qu’un seul homme périsse que le peuple entier. » Le même enseignement ressort plus clairement encore des paroles dites à Pierre lors de sa tentative d’opposer la violence à la violence dirigée contre Jésus (Saint Mathieu, XXIV, 52). Pierre ne se défendait pas lui-même ; il défendait son maître divin et adoré. Cependant le Christ le lui interdit en disant : « Celui qui frappe par le glaive périra par le glaive. »

En outre, la violence pour défendre son semblable d’une autre violence n’est jamais justifiée parce que, le mal que vous voulez empêcher n’étant pas encore commis, il vous est impossible de deviner quel sera le plus grand du mal que vous allez commettre ou de celui que vous voulez arrêter. Nous exécutons un criminel pour en débarrasser la société, et rien ne nous prouve que ce criminel n’eût pas changé demain, et que son exécution