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Des centaines de milliers d’hommes, les quakers, les ménonites, nos doukhobortsi, nos molokan, et bien des personnes qui n’appartiennent à aucune secte définie considèrent la violence, et, par suite, le service militaire, comme inconciliable avec le christianisme. C’est pourquoi, chaque année, chez nous, en Russie, quelques conscrits refusent le service militaire, se basant sur leur conviction religieuse. — Et que fait le gouvernement ? Les libère-t-il ? — Non. — Les force-t-il à marcher et, en cas de refus, les punit-il ? — Non…

En 1818 le gouvernement a procédé ainsi. Voici un extrait du journal, que personne presque ne connaît en Russie, de Nicolas Nicolaïevitch-Mouraviev-Karsky, supprimé par la censure.


2 octobre 1818. Tiflis.

« Ce matin le commandant m’a dit qu’on avait envoyé tout récemment en Géorgie cinq paysans du gouvernement de Tambov. Ces hommes ont été levés pour l’armée, mais refusent le service. On les a déjà, à plusieurs reprises, punis du knout, et on les a fait aussi passer par les baguettes, mais ils abandonnent sans résistance leurs corps aux tortures les plus cruelles et à la mort pour ne pas être soldats. — « Laissez-nous partir, disent-ils, ne nous faites pas de mal, et nous n’en ferons à personne. Tous les hommes sont égaux et le tzar est un homme comme nous. Pourquoi lui payerions-nous l’impôt ? Pourquoi irions-nous exposer notre vie pour tuer à la guerre des hommes qui ne nous ont fait aucun mal ? Vous pouvez nous couper en morceaux, mais vous ne changerez pas nos idées. Nous ne mettrons pas la capote, et nous ne mangerons pas à la gamelle. Celui qui aura pitié de nous nous fera l’aumône ; nous