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CHAPITRE X
INUTILITÉ DE LA VIOLENCE GOUVERNEMENTALE POUR SUPPRIMER LE MAL. — LE PROGRÈS MORAL DE L’HUMANITÉ S’ACCOMPLIT NON SEULEMENT PAR LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ, MAIS ENCORE, PAR L’ÉTABLISSEMENT DE L’OPINION PUBLIQUE.
Le christianisme détruit l’état. — Mais qu’est-ce qui est le plus nécessaire : le christianisme ou l’état ? — Il y a des hommes qui défendent la nécessité de l’organisation sociale, et d’autres qui la nient en se basant sur les mêmes arguments. — On ne peut prouver ni l’un ni l’autre par une argumentation abstraite. — Cette question décide du degré de la conscience de l’homme, qui lui défend ou lui permet de participer à l’organisation gouvernementale. — La conscience de l’inutilité et de l’immoralité de cette participation, contraire à la doctrine chrétienne, résout cette question pour chaque homme, abstraction faite de l’état. — Argument des défenseurs de l’état, nécessaire pour protéger les bons contre les mauvais jusqu’au moment où toutes les nations et tous les membres de chaque nation deviendront chrétiens. — Les plus mauvais sont toujours au pouvoir. — L’histoire de l’humanité est l’histoire de l’accaparement du pouvoir par les méchants au détriment des bons. — La reconnaissance par les autorités de la nécessité de lutter contre le mal par la violence équivaut à leur propre suicide. — La suppression de la violence gouvernementale ne peut pas augmenter le nombre des violences individuelles. — Non seulement il est possible de supprimer la violence, mais encore cela a lieu de nos jours. — Ce n’est pas par l’intervention gouvernementale qu’elle est supprimée, c’est par ce fait que les hommes, arrivant au pouvoir par la violence, en reconnaissent la vanité et deviennent meilleurs et moins aptes à employer la violence. — Par ce processus passent aussi bien les individus que les peuples entiers. — Par cette voie, le christianisme pénètre dans la conscience des hommes et cela non seulement malgré la violence employée par l’autorité, mais encore par son intermédiaire ; c’est pourquoi la suppression de l’autorité, loin d’être dangereuse, s’accomplit sans cesse par la vie elle-même. — Objection des défenseurs de l’organisation gouvernementale qu’il est douteux que l’extension du christianisme se réalise jamais. — La diffusion des vérités chrétiennes interdisant la violence s’accomplit non seulement par la voie intérieure, progressive, de la reconnaissance de la vérité, par le sentiment prophétique, par la conscience de la vanité du pouvoir et par l’abandon du pouvoir par des individus isolés, mais encore par la voie extérieure par laquelle de grandes masses d’hommes, inférieurs comme développement intellectuel, adoptent d’un coup, par la seule confiance pour les premiers, la nouvelle vérité. — La diffusion de la vérité arrivée à un certain degré crée une opinion publique qui oblige la grande masse des hommes, réfractaire jusqu’alors, à adopter d’un coup la nouvelle vérité. — C’est pourquoi la renonciation de tous les hommes à la violence peut se produire très vite et précisément au moment où s’établira l’opinion publique chrétienne. — La conviction de la nécessité de la violence empêche l’opinion publique chrétienne de