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égarés, aussi pitoyables que toi, t’ont fait soldat, souverain, propriétaire, capitaliste, prêtre, général, tu te mets à commettre des violences évidemment contraires à ta raison et à ton cœur, à baser ta vie sur le malheur d’autrui, et surtout, au lieu de remplir l’unique devoir de ta vie, reconnaître et professer la vérité, tu feins de ne pas la connaître et tu la caches à toi-même et aux autres.

Et dans quelles conditions le fais-tu ? Toi qui peux mourir à chaque instant, tu signes des arrêts de mort, tu déclares la guerre, tu y prends part, tu juges, tu martyrises, tu dépouilles des ouvriers, tu vis luxueusement au milieu des pauvres et tu enseignes aux hommes faibles qui ont confiance en toi que cela doit être ainsi, que c’est là le devoir des hommes ; et cependant il peut arriver, au moment où tu agis ainsi, qu’une bactérie ou qu’une balle t’atteigne et que tu tombes, et que tu meures, en perdant pour toujours la possibilité de réparer le mal que tu as fait aux autres et surtout à toi-même en employant inutilement une vie qui t’a été donnée une seule fois dans toute l’éternité, et sans avoir accompli la seule chose que tu devais accomplir.

Si banale et si surannée qu’elle nous paraisse, si troublés que nous soyons par l’hypocrisie et par l’auto-suggestion qui en résulte, rien ne peut détruire la certitude de cette vérité simple et nette : aucunes conditions matérielles ne peuvent assurer notre vie, que les souffrances inévitables accompagnent et que la mort termine infailliblement, et qui, par conséquent, ne peut avoir aucun autre sens que l’accomplissement constant de ce que nous demande la Puissance qui nous a mis dans la vie avec un seul guide certain, la raison consciente.

C’est pourquoi cette Puissance ne peut pas nous