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des centaines, des milliers, des millions d’hommes, que s’établisse une opinion publique répondant à la conscience existante, et que, par suite, toute l’organisation sociale se modifie. Et il dépend de nous de faire cet effort.

Que chacun de nous cherche seulement à comprendre et à reconnaître la vérité chrétienne qui, sous les formes les plus variées, nous entoure de tous côtés et nous presse ; que nous cessions de mentir en ayant l’air de ne pas la voir ou de vouloir la pratiquer, mais non pas en ce qu’elle nous demande avant tout ; que nous reconnaissions cette vérité qui nous appelle, et nous nous apercevrons aussitôt que des centaines, des milliers, des millions d’hommes se trouvent dans la même situation que nous, que, comme nous, ils voient la vérité, mais qu’ils craignent, comme nous, d’être seuls à la pratiquer et n’attendent que sa reconnaissance par les autres.

Que les hommes cessent seulement d’être hypocrites, et ils verront aussitôt que la dure organisation sociale qui seule les lie et se présente à eux comme quelque chose d’indestructible, de nécessaire, de sacré, venant de Dieu, vacille déjà et ne se maintient que par le mensonge et l’hypocrisie, et que c’est nous qui la soutenons.

Mais si c’est ainsi, s’il est vrai qu’il dépend de nous de supprimer le régime actuel, avons-nous le droit de le faire, ne sachant pas nettement ce que nous mettrons à la place ? Que deviendrait la société ?

« — Que trouverons-nous de l’autre côté du mur du monde que nous abandonnons ?

« La peur nous saisit, — vide, espace, liberté…, — comment marcher sans savoir vers quoi, comment perdre dans l’espoir de ne rien acquérir !…

« Si Colomb avait raisonné ainsi il n’aurait jamais