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le bien-être du peuple. Nous ne voulons pas que tous soient pauvres comme les pauvres, nous voulons que tous soient riches comme les riches. Quant à l’affirmation qu’on violente et qu’on tue des hommes pour les forcer à travailler au profit des riches, ce n’est qu’un sophisme. L’armée n’est envoyée contre le peuple que lorsque, sans comprendre son intérêt, il se révolte et compromet la tranquillité nécessaire au bien-être général. De même il est nécessaire de tenir en respect les malfaiteurs pour qui nous avons les prisons, les potences et les bagnes. Nous voudrions nous-mêmes les supprimer et nous travaillons en ce sens. »

L’hypocrisie est maintenue à notre époque de deux côtés : par la quasi-religion et la quasi-science, et elle est arrivée à de telles proportions que, si nous ne vivions pas dans ce milieu, nous ne pourrions pas croire que les hommes puissent arriver à ce degré d’aberration. Les hommes sont arrivés à un état si surprenant, leur cœur s’est tellement endurci qu’ils regardent et ne voient pas, écoutent et n’entendent pas, et ne comprennent pas.

Les hommes vivent, depuis longtemps déjà, contrairement à leur conscience. S’il n’y avait pas d’hypocrisie ils ne pourraient pas vivre ainsi. Cette organisation sociale, contraire à leur conscience, ne continue à exister que parce qu’elle est cachée par l’hypocrisie.

Et plus la distance entre la réalité et la conscience des hommes grandit, plus s’étend aussi l’hypocrisie ; mais elle a elle-même une limite. Et il me semble que nous l’avons atteinte aujourd’hui. Tout homme de notre époque, avec la morale chrétienne assimilée malgré lui, se trouve absolument dans la position d’un homme endormi qui se voit en rêve obligé de faire ce que, même en rêve, il sait qu’on ne doit pas faire. Il le sait, il en a