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Toute guerre, la plus bénigne, avec toutes ses conséquences ordinaires, la destruction des récoltes, les vols, les rapts, la débauche, le meurtre, avec les justifications de sa nécessité et de sa légitimité, avec l’exaltation des exploits militaires, l’amour du drapeau, de la patrie, avec les sollicitudes feintes pour les blessés, etc., pervertit, en une seule année, plus de gens que des milliers de pillages, d’incendies, de meurtres commis pendant un siècle par des individus isolés poussés par la passion.

Une seule existence luxueuse, même dans des limites ordinaires, d’une famille soi-disant honnête et vertueuse, qui dépense pour ses besoins le produit d’un travail qui suffirait pour nourrir des milliers d’hommes vivant dans la misère à côté d’elle, pervertit plus de gens que les innombrables orgies de marchands grossiers, d’officiers, d’ouvriers adonnés à l’ivresse et à la débauche, qui pour leur plaisir brisent les glaces, la vaisselle, etc.

Une seule procession solennelle, un office, ou, du haut de la chaire de mensonge, un sermon auquel le prédicateur ne croit pas lui-même, produit, sans comparaison aucune, plus de mal que des milliers de faux, de falsifications de denrées alimentaires, etc.

On parle de l’hypocrisie des pharisiens. Mais l’hypocrisie des hommes de notre époque dépasse de beaucoup celle relativement innocente des pharisiens. Ceux-ci avaient au moins une loi religieuse extérieure dont l’accomplissement les empêchait de voir leurs véritables obligations vis-à-vis de leurs semblables. D’ailleurs ces obligations n’étaient pas alors nettement définies. Aujourd’hui une pareille loi n’existe pas (je ne parle pas de ces gens grossiers et stupides qui croient encore que les sacrements ou les dispenses du pape absolvent de tout péché). Au contraire, la loi évangélique, que nous professons sous une forme ou sous une