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Ce n’est qu’ainsi que s’explique ce phénomène étonnant, dont j’ai été témoin le 9 septembre : des hommes honnêtes et doux allant, avec une parfaite tranquillité d’âme, commettre le crime le plus atroce, le plus stupide, le plus vil.

Non pas qu’il y ait absence chez eux de toute conscience qui leur défende de faire ce qu’ils se préparent à commettre ; non, elle existe, mais elle est seulement endormie, chez les chefs par ce que les psychologues appellent l’autosuggestion, et chez les exécuteurs, les soldats, par l’hypnotisation des classes supérieures.

Si endormie qu’elle soit, la conscience se manifeste même à travers l’autosuggestion et la suggestion, elle commence à parler et, encore un peu, elle se réveillera.

Tous ces hommes se trouvent dans la situation d’un hypnotisé auquel on ordonnerait un acte contraire à ses notions du bien et du juste — par exemple, tuer sa mère ou son enfant ; — se sentant lié par la suggestion, il lui semble qu’il ne peut pas s’arrêter ; mais, en même temps, plus il s’approche du moment et de l’endroit de l’exécution, plus s’élève en lui la voix de la conscience étouffée, et plus il cherche à réagir, à se réveiller. Et on ne peut pas dire d’avance s’il commettra ou non l’acte suggéré ; on ne peut savoir qui prendra le dessus, de la conscience raisonnée ou de la suggestion irraisonnée : tout dépend de la force relative de l’une et de l’autre.

Il fut un temps où les hommes, partis dans un but de violences et de meurtres, pour faire un exemple, ne revenaient qu’après avoir accompli cette mission, et cela, sans remords ni doutes, mais tranquillement, et, après avoir frappé, retournaient dans leurs familles, caressaient les enfants, plaisantaient, riaient, se laissaient aller à toutes les joies pures du foyer. Alors, les hommes qui profitaient de ces violences,