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qu’ont les hommes qui raisonnent peu de se soumettre aux indications des hommes placés à un plus haut degré de conscience est un phénomène constant et nécessaire à la vie en société : les uns — la minorité — se soumettent constamment aux principes raisonnés, toujours les mêmes par suite de leur concordance avec la raison ; les autres — la majorité — se soumettent aux mêmes principes, inconsciemment, simplement parce que l’opinion publique l’exige.

Une soumission pareille à l’opinion publique, des hommes qui raisonnent peu, ne présente aucun caractère anormal, tant que l’opinion publique ne se partage pas en deux. Mais il arrive un moment où la conscience d’une vérité plus haute, après s’être révélée à quelques personnes, s’impose peu à peu à une si grande quantité d’hommes, que l’ancienne opinion publique commence à chanceler pour faire place à la nouvelle, déjà prête à s’établir. Il arrive un moment où les hommes commencent à raisonner leurs actes d’après des principes nouveaux, tandis que, dans la vie générale, par inertie, par tradition, ils continuent à appliquer les principes, qui dans l’ancien temps formaient le degré supérieur de la conscience raisonnée, mais qui se trouvent déjà en contradiction évidente avec elle. D’où, une situation anormale pour tous, qu’ils appartiennent aux classes supérieures privilégiées ou aux classes inférieures soumises à tous les ordres.

Les hommes des classes dirigeantes n’ayant plus l’explication raisonnable de leurs privilèges sont obligés pour les garder d’étouffer en eux les sentiments supérieurs d’amour, et de se persuader de la nécessité de leurs situations exceptionnelles, ceux des classes laborieuses, écrasés par le travail et abrutis à dessein, demeurant sous la constante influence des classes supérieures.