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fait qu’il est revêtu d’un uniforme ou porteur d’une médaille et qu’on lui a dit qu’il est garde champêtre ou douanier, se met à tirer sur des gens, et ni lui ni ceux qui l’entourent, non seulement ne l’en rendent pas responsable, mais au contraire le considérerait comme coupable s’il ne tirait pas. Et tout cela sans parler des juges et des jurés qui condamnent à mort, et des militaires qui tuent des milliers d’hommes sans le moindre remords, seulement parce qu’il leur est suggéré qu’ils ne sont pas simplement des hommes, mais des jurés, des juges, des généraux, des soldats. Cet état anormal et étrange s’exprime par les paroles suivantes : « Comme homme, j’ai pitié de lui ; comme garde champêtre, juge, général, gouverneur, souverain, soldat, je dois le tuer ou le martyriser. »

Ainsi, par exemple, dans le cas actuel, des hommes s’en vont violenter et tuer des affamés et ils reconnaissent que, dans le conflit entre les paysans et le propriétaire, ce sont les premiers qui ont raison (tous les chefs me l’ont confirmé). Ils savent que les paysans sont malheureux, pauvres, affamés, et le propriétaire riche et n’inspirant aucune sympathie. Et voici que tous ces gens vont quand même tuer les paysans pour assurer au propriétaire la possession de 3,000 roubles, seulement parce que ces hommes se croient à ce moment non pas hommes, mais gouverneur, fonctionnaires, général de gendarmerie, officiers, soldats, et qu’ils considèrent comme leur devoir d’obéir, non pas aux exigences éternelles de la conscience, mais aux demandes temporaires, occasionnelles, de leur situation.

Si étrange qu’elle puisse paraître, l’unique explication de ces phénomènes surprenants est que ces hommes se trouvent dans le même état que ceux qui sont hypnotisés et qui se croient dans la situation que leur sug-