Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’organisation gouvernementale est telle que, à quelque degré de l’échelle sociale qu’il se trouve, la responsabilité de chaque homme est toujours la même. Plus il est haut placé sur cette échelle, plus il est sous l’influence des demandes d’en bas et moins il est soumis à l’influence des ordres d’en haut.

Mais, outre que les hommes liés par l’organisation gouvernementale se rejettent mutuellement la responsabilité des actes commis — le paysan enrôlé comme soldat, sur les nobles ou les négociants sortis des écoles comme officiers ; l’officier, sur le noble occupant le poste de gouverneur ; le gouverneur sur le ministre, le ministre sur le souverain, et le souverain à son tour sur tous, fonctionnaires, nobles, négociants, paysans, — ils perdent tous la conscience de leur responsabilité encore par ce fait qu’en se formant en une organisation gouvernementale, ils se persuadent mutuellement et persuadent aux autres, si longtemps, si constamment, qu’ils ne sont pas égaux entre eux, qu’ils finissent par y croire sincèrement eux-mêmes. Ainsi on assure aux uns qu’ils sont des hommes particuliers qui doivent être particulièrement honorés ; aux autres, on suggère par tous les moyens possibles qu’ils sont plus bas que tous les autres hommes et, par suite, doivent se soumettre sans murmurer aux ordres des supérieurs.

C’est sur cette inégalité, sur l’élévation des uns et sur l’humiliation des autres, que se fonde surtout la faculté des hommes de ne pas s’apercevoir de la folie de la vie actuelle, de sa cruauté et du mensonge que commettent les uns et dont les autres sont victimes.

Les uns — ceux auxquels on a suggéré qu’ils sont investis d’une grandeur et d’une importance particulières — sont tellement enivrés de cette grandeur imaginaire qu’ils cessent déjà de voir leur responsabilité dans les