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n’existait pas de capitalistes ni d’armées pour les défendre, son mari n’aurait pas d’argent, et elle de salon et de toilettes ; et le peintre n’a pas songé non plus que les capitalistes défendus par l’armée lui sont nécessaires pour la vente de ses tableaux, mais l’instinct, qui remplace en ce cas le raisonnement, est leur guide le plus sûr. Et le même instinct guide, sauf de rares exceptions, tous les hommes qui soutiennent les institutions politiques, religieuses, économiques qui leur sont profitables.

Mais est-ce que vraiment les hommes des classes supérieures peuvent soutenir cet ordre de choses, seulement parce qu’ils y sont intéressés ? Ils ne peuvent pas ne pas voir que cet ordre de choses est irrationnel, qu’il ne répond plus au degré de développement moral des hommes, à l’opinion publique, et qu’il est plein de dangers. Les hommes des classes dirigeantes, honnêtes, bons, intelligents, ne peuvent pas ne pas souffrir de ces contradictions et ne pas voir les périls dont elles les menacent. Est-ce que les millions d’hommes des classes inférieures peuvent accomplir, la conscience tranquille, tous les actes évidemment mauvais, qu’ils n’exécutent que par crainte du châtiment ? En effet, cela ne pourrait être, et ni les uns ni les autres ne pourraient pas ne pas s’apercevoir de la démence de leurs actes, si les détails de l’organisation sociale ne la leur cachaient pas.

Tant d’instigateurs, de complices, d’indifférents participent à chacun de ces actes que personne ne se considère comme moralement responsable.

Les assassins obligent tous les témoins de l’assassinat à frapper la victime déjà tuée, en vue de répartir la responsabilité entre le plus grand nombre possible. C’est ce qui a lieu également dans l’organisation sociale lors