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lorsqu’on entend, des journées entières (comme je l’entends à Khamovniki, où je demeure) le sifflement des balles et leur bruit contre la cible, et lorsqu’on voit, au milieu de la ville où toute tentative de violence personnelle, de vente de poudre, de commerce illicite de médicaments, d’exercice de la médecine sans diplôme, etc., est interdite, des milliers d’hommes disciplinés, soumis à un seul homme, s’exercer au meurtre, on se demande : Comment les hommes qui tiennent à leur sécurité peuvent-ils tranquillement admettre et supporter cela ? Car, sans parler de l’immoralité, rien n’est plus dangereux. Que font donc tous ceux — je ne dis pas chrétiens, pasteurs chrétiens, philanthropes, moralistes, — mais simplement ceux qui tiennent à leur vie, à leur sécurité, à leur bien-être ? Cette organisation sociale fonctionnera de même en quelques mains qu’elle se trouve. Supposons qu’aujourd’hui le pouvoir soit entre les mains d’un chef d’état modéré ; mais demain il peut passer dans celle d’un Biron, d’une Élisabeth, d’une Catherine, d’un Pougatchev, d’un Napoléon Ier ou d’un Napoléon III. Et même le chef modéré, dans les mains duquel se trouve aujourd’hui le pouvoir, peut demain devenir une bête fauve, ou peut avoir pour héritier un fou ou un demi-fou comme le roi de Bavière ou Paul Ier.

Et non seulement le chef de l’état, mais tous ces petits satrapes qui sont répandus partout, les gouverneurs, les chefs de police, même les commissaires, les chefs de compagnies, peuvent commettre les crimes les plus graves avant qu’on ait eu le temps de les remplacer. C’est ce qui arrive en effet.

On se demande malgré soi comment les hommes tolèrent tout cela, ayant souci de leur sécurité.

On peut répondre que cela n’est pas toléré par tous