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toute loi sociale a pour but d’améliorer l’existence. Comment donc la destruction de la vie de quelques hommes pourrait-elle améliorer celle des autres en général ? La destruction d’une vie n’est pas un acte d’amélioration, mais un suicide.

Cet acte est semblable à celui que commettrait un homme qui, voulant réparer le malheur qui lui est arrivé de perdre un bras, pour être juste, se couperait l’autre.

Sans parler du mensonge qui permet de considérer le crime le plus terrible comme une obligation, sans parler de l’abus effroyable qu’on fait du nom et de l’autorité du Christ pour légitimer une action condamnée par lui, sans parler de la tentation par laquelle on tue non seulement le corps, mais encore l’âme « des petits », comment les hommes peuvent-ils tolérer même, pour leur propre sécurité, cette force stupide, cruelle et meurtrière que représente tout gouvernement organisé s’appuyant sur l’armée. La bande des brigands les plus féroces offre une organisation moins redoutable. Le pouvoir de tout chef de brigands est, quand même, limité par ce fait que ceux qui forment sa bande jouissent au moins d’une partie de liberté et peuvent s’opposer à l’accomplissement des actes contraires à leur conscience. Au contraire, grâce à l’appui de l’armée, aucun obstacle ne gêne les hommes qui font partie d’un gouvernement organisé. Il n’existe pas de crime que ne soient prêts à commettre les hommes qui font partie du gouvernement et de l’armée sur l’ordre de celui que le hasard a mis à leur tête. Souvent, quand on assiste au recrutement des conscrits, aux exercices militaires, aux manœuvres, ou même lorsqu’on voit les sergents de ville avec leurs revolvers chargés, les sentinelles avec leurs fusils armés de baïonnettes,