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faire prêter serment. Et alors ce « père », à qui on a persuadé qu’il est le serviteur particulier, exclusif du Christ, et qui le plus souvent ne voit pas lui-même le mensonge dont il est entouré, entre dans la salle du conseil où l’attendent les conscrits. Il endosse, en guise de vêtement, un rideau de brocart, en dégage ses longs cheveux, ouvre ce même Évangile où il est défendu de jurer, prend la croix, cette même croix où fut cloué le Christ pour n’avoir pas voulu faire ce qu’ordonne son prétendu serviteur, les pose sur le lutrin et tous ces malheureux jeunes gens, sans défense et trompés, répètent après lui le mensonge qu’il débite d’un ton assuré et habituel. Il lit et eux répètent : « Je promets et jure par le Dieu tout-puissant, et devant son saint Évangile… etc., » de défendre (c’est-à-dire par le meurtre) tous ceux qu’on me désignera et de faire tout ce que m’ordonneront des hommes que je ne connais pas et qui ont besoin de moi pour opprimer mes frères et accomplir les crimes qui les maintiennent dans leur situation.

Tous les conscrits répètent stupidement ces paroles sauvages. Puis ce soi-disant « père » s’en va, persuadé qu’il a consciencieusement et correctement accompli son devoir, tandis que ces jeunes gens trompés sont convaincus que les paroles ineptes, inintelligibles, qu’ils viennent de prononcer les dispensent, pour tout le temps de leur service, de toute obligation humaine, et leur en créent de nouvelles et plus rigoureuses : les obligations du soldat.

Et cet acte se commet publiquement et personne ne crie aux trompeurs et aux trompés : Réfléchissez, c’est le mensonge, le plus vil et le plus perfide, qui perd non seulement vos corps, mais encore vos âmes.

Personne ne le fait. Au contraire, l’opération terminée, comme pour se moquer des conscrits, le colonel,